Abderrahmane Zenati. Extrait de l'ouvrage Jab’Allah, l’homme d’Amérique

extrait

..." Jab’Allah, l’homme d’Amérique, sentit soudain un frisson et se mordit la lèvre inférieure.
Trente ans après, la peur de la prison au Maroc ne l’avait pas quitté. Elle lui collait à la peau.

Il alluma un cigare, ouvrit Les Échos de l’Oriental, le seul journal paraissant en langue française à Oujda, et se mit à lire les gros titres :

« HASSAN II, le souverain marocain est mort ! » « … Une grande perte pour le Maroc et pour le monde »

« Abdelaziz Bouteflika, le nouveau Président de l’Algérie solidaire avec le Maroc ! … »

« Sacré K’zikza, pensa Jab’Allah qui connaissait bien autrefois à Oujda ce nouvel homme fort algérien, surnommé K’zikza.

Il était même l’un de ses copains.

« Le nouveau Président de l’Algérie solidaire avec le Maroc ! … » Soupira-t-il. Quelle hypocrisie ! Te conduiras-tu jamais comme un homme, K’zikza ? Même Président, tu es resté cet algérien sournois, ce mégalomane fourbe, cet homme qui se voudrait évoluer et progressiste, mais tu n’en demeures pas moins borné, complexé par le Maroc et les Marocains, comme tous les tiens d’avant et d’après le déluge… Ah, K’zikza ! Comme toujours, tu feras tout ce qu’on te dira de faire, sans jamais contester, sans jamais te demander comment et pourquoi ! C’est pour ça d’ailleurs que tu es devenu Président…

Jab’Allah continua à parcourir les gros titres du journal :

« Après vingt cinq ans au pouvoir dans les différents gouvernements du Maroc, Driss Al Basri, le ministre de l’intérieure à été limogé ! … »

D’après ce lynchage médiatique, pensa l’homme d’Amérique, on veut faire porter à cet homme le chapeau et toute la responsabilité et de tous les maux du Maroc alors qu’il n’était pas seul à la barre. L’Histoire, tôt ou tard, restituera la vérité.

« La famille Oufkir réintègre le pays »

« Le fils de Mehdi Ben Barka et sa famille rentre au Maroc après dix ans d’exil »

« Abraham Sarfati, gracié par le jeune Monarque, réintègre la mère patrie… »

Malgré la grande ouverture du Maroc sur la Démocratie, la Libre Expression et aux Droits de l’Homme, Jab’Allah avait une crainte incrustée dans la peau.

L’expérience lui avait appris qu’il ne devait jamais faire confiance à certains de ces arrivistes parachutés au pouvoir dans son pays… Il savait qu’ils étaient capables de tout.

En survolant la Méditerrané à bord du Boeing de la Royal Air Maroc, les mêmes mots revenaient sans cesse en échos dans sa tête :

«… Tu es condamné à mort ! … Tu es condamné à mort… ».