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ZENATI L'ART POUR TOUS
27 février 2015

abderrahmane Zenati : Discours aux internes de la Faculté de médecine et de pharmacie. Le 28 février 2015

 

Abderrahmane Zenati

Discours aux internes

de la Faculté de médecine et de pharmacie

Le 28 février 2015

 

Mesdames et messieurs, merci de m’avoir donné cette belle occasion  de parler de l’art dans cette assemblée de jeunes médecins…

C’est vrai, qu’entre l’art  et la médecine  il y a beaucoup de points communs.

L’artiste, comme le médecin travaillent, chacun dans son domaine,  avec amour, persévérance et patience.  

Mesdames et messieurs d’emblée, j’implore votre indulgence.

Faire un discours face à votre honorable présence est certes une entreprise périlleuse pour l’autodidacte que je suis.

 Il est vrai qu’avec le temps et l’expérience des années de vie, j’ai puisé mon modeste savoir et mon éducation à des sources bien différentes…

D’abord, la rue : véritable école de la vie, la plus importante de toutes quand on sait en tirer profit.

La vie m’a presque tout appris.

Oh, je ne suis pas un érudit ! Je n’ai que des connaissances modestes et variées  sur une foule de choses…

Ayant passé une grande partie de mon enfance abandonné dans la rue, jusqu’à l’âge de douze ans, je ne savais ni lire, ni écrire.  

Il m’avait fallu beaucoup de volonté, de curiosité, de patience, de ténacité  et d’amour pour  d’abord comprendre et baragouiner modestement la langue française.

 Il m’avait fallu des années de lutte, de travail acharné, d’observations et de recherches pour apprendre à lire, à écrire et à composer la plus simple des phrases.

De là, à faire tout un discours aux honorables hommes scientifiques que vous êtes, quelle aventure !

Ne possédant ni le savoir faire d’un éminent conférencier, les mots m’échappent pour vous décrire les circonstances qui ont fait de moi l’homme que je suis devenu.

Les mots m’échappent pour vous décrire les événements qui furent pour moi si extraordinaires, si vibrants.

Toutes les choses merveilleuses qui me sont arrivées risquent de perdre leur saveur en m’efforçant de les traduire en mots, matière que je ne sais pas trop manipuler.

 Ils me paraissent semblables à des feuilles mortes, desséchées où ne reste plus ni parfum, ni douceur…

C’est parce que je ne suis pas un écrivain expérimenté.

Lorsque je peins, c’est autre chose…

Rien ne me destinait dans le fond à être un artiste peintre. Il a fallu les circonstances de la vie dure pour façonner en moi les sentiments artistiques et l’amour de l’art.

Ce n'est pas moi qui ai décidé d'être peintre, c'est la peinture qui m'a choisi. J'avais un peu plus que dix ans et, orphelin, je vivais à Oujda comme des centaines d'enfants, filles et garçons dans la rue et je dormais à la belle étoile.

Maigre comme un clou, crasseux et vêtu de guenille je pataugeais jusqu'au cou dans la misère.

Pour subsisté, je mangeais n'importe quoi...Tout ce que je trouvais comme mangeable dans les poubelles et les décharges publiques.

Je me rappelle un matin, pas comme les autres. Il n'était pas encore sept heures et il faisait très chaud.

Le vent du Sud soufflait par rafales. Il me desséchait les lèvres, raccourcissait ma respiration et faisait bouillir le sang dans mes veines.

En cherchant quelque chose à manger dans une poubelle, devant une porte d'une riche famille française, face au cimetière chrétien, j'ai trouvé une vieille boite de peinture à l'eau, déjà entamée...

En étalant, par instinct, de la couleur avec mes doigts sur un vieux carton, j'ai vu apparaître des couleurs qui m'ont ravi.

Les mélanges obtenus par hasard m'avaient fasciné...

D'un blanc et d'un rouge, un rose parut par enchantement...

D'un bleu et d'un jaune un vert prit forme...

Ce fut pour moi une immense joie.

Cette découverte m'amusa et occupa mon esprit. Elle m'avait fait oublier pendant quelques instants ma faim et ma désolation.

Ce mélange des couleurs a été le déclic qui déclencha spontanément ma passion et ma sensibilité pour la peinture....

Plus tard, toujours par instinct, par amour, par plaisir, je passais des heures à noircir les murs avec du charbon en dessinant les personnages de bandes dessinées : Zorro avec son masque, des cow-boys sur des chevaux, des indiens coiffés de leurs plumes, Tarzan et ses animaux sauvages... Lions, singes, éléphants, girafe...

Je dessinais n'importe quoi sur n'importe quel support, surtout sur les portes des écoles... Cela émerveillait les enfants de chaque cartier que je fréquentais.

J'avais compris alors que grâce au dessin, les enfants des familles riches acceptaient ma présence parmi eux.

Mes modestes talents artistiques me permettaient de partager leurs jeux, leurs discussions et leur goûter... Au fond de moi-même quelques choses s'étaient ancrées ou avaient bourgeonné.

Je me sentais devenir autre.

Il s'est produit un remarquable revirement chez les parents de mes petits camarades, quand ils ont vu mes dessins...

Quand ils se sont rendu compte que je n'étais pas le monstre qu'ils imaginaient et, au contraire, avaient découvert en moi une sensibilité et un soupçon de don, ils me témoignèrent de la sympathie et les sourires avaient remplacés les brimades...

Les mots d'encouragement s'étaient succédé aux injures... »

Comment j’ai appris à lire e à écrire ?

Vers l’âge de treize ans, j’ai eu la tuberculose pulmonaire. J’avais les poumons perforés de cavernes. J’étais entre la vie et la mort. Je suis resté hospitalisé au service phtisiologie de l’hôpital Maurice Lousteau d’Oujda, aujourd’hui Al Farabi, pendant plus d’un an

  Comme lorsque je dessinais sur les murs dans la rue, j’ai commencé à dessiner des animaux et des personnages sur les vieilles boites en carton de clichés.

Les malades, le médecin chef et les infirmières avaient remarqué mon modeste talon et m’encouragèrent. Une infirmière, madame Mestre, m’a offert une grande boite de tubes de gouache et j’ai commençais ainsi à peintre matin et soir sur les cartons d’emballage des films de radioscopie... On me complimentait et on admirait mon travail. Je faisais cadeau de tous mes dessins aux médecins, aux infirmiers et aux malades. Bientôt je ne pus suffire à la demande... je dessinais, je dessinais, heureux de me faire remarquer et de me rendre utile au milieu de la vie plate de l’hôpital.

Je ne savais lire ni A ni B. Comme je savais dessiner, cela m’a donné l’idée de copier les paragraphes des revues et des journaux sans comprendre leur sens.

Ce fut d’abord une couverture de la revue, PARIS MATCH. J’ai dessiné le titre de la revue lettre par lettre : P.A.R.I.S..M.A.T.C.H... Ensuite, je combinais les lettres entre elles. PA.PA... MA.MA et je montrais ce que j’écrivais aux infirmiers et aux malades qui m’expliquaient les sens de ce que je venais d’écrire.

Cette méthode insolite, cet instinct de vouloir apprendre déclenchèrent une vive réaction chez Daoudi, un instituteur  malade qui, avec sa conscience de maître d’école, sa foi d’enseignant tout nourri de préceptes et de pédagogie m’expliquait des lettres et des mots comme s’il était en classe... Daoudi était un de ces maîtres d’école qui représentaient quelque chose d’important pour le pays. Ils symbolisaient d’une certaine manière la conquête du savoir pour ceux qui jusqu’alors n’y avaient jamais accès ou n’y avaient jamais eu droit... Ils en étaient les intermédiaires, souvent issus des milieux pauvres...

 Daoudi, un gentil instituteur de quarante ans à qui on avait enlevé la moitié des poumons, menait de bonne foi et avec persévérance  une véritable lutte contre l’ignorance...

Daoudi encourageait mon expérience. Il avait l’air ravit et satisfait chaque fois que je lui demandais de m’expliquer une lettre, un mot ou une phrase entière...

Daoudi mourra une nuit à l’hôpital, en ma présence.

Après mon hospitalisation au service de la phtisiologie d’Oujda, je fus transporté au sanatorium

Au bout de quelques mois de ces exercices qui m’intéresser je finis par lire, prononcer les mots et les sons difficiles que Daoudi m’avait apprit.

Mesdames et messieurs !  La peinture était la seule chose que je savais faire. Je me suis accroché à elle comme un naufragé qui s’accroche à une bouée de sauvetage. Cela a été pour moi le chemin qui m’a conduit vert la satisfaction et la confiance en moi-même.

 Il y a eu dans ma vie des choses si extraordinaires qu’elles m’ont fait croire parfois à la prédestination... Si je n’avais pas vécu dans la rue, je n’aurais jamais compris la souffrance des uns et des autres, ni la bonté, ni la simplicité et la générosité qu’un chacun doit avoir pour ses semblables...

Si je n’avais pas vu et senti tout cela, ma vie aurait été différente.

L’art provient souvent des souffrances et des sentiments, avant l’intelligence. L’artiste n’est rien d’autre que celui qui donne un sens à ses sentiments. Il ne se distingue pas d’un homme normal par le fait qu’il a une sensibilité comme tout un chacun, mais par le fait qu’il possède le don de mettre en forme ses rêves et ses émotions... s’il possède cette capacité merveilleuse de mettre un peu de lui-même dans chacune de ses œuvres, il trouvera certainement l’écho de son art dans le cœur des gens….

Il y a eu dans ma vie, mesdames et messieurs,  des choses si extraordinaires qu’elles m’ont fait croire parfois à la prédestination... Si je n’avais pas vécu dans la rue, je n’aurais jamais compris la souffrance des pauvres, ni la bonté des altruistes, ni la simplicité et la générosité qu’un chacun doit avoir pour ses semblables...

Si je n’avais pas vu et senti tout cela, ma vie aurait été différente.

L’art provient souvent des souffrances et des sentiments, avant l’intelligence. L’artiste n’est rien d’autre que celui qui donne un sens à ses sentiments. Il ne se distingue pas d’un homme normal par le fait qu’il a une sensibilité comme tout un chacun, mais par le fait qu’il possède le don de mettre en forme ses rêves et ses émotions... s’il possède cette capacité merveilleuse de mettre un peu de lui-même dans chacune de ses œuvres, il trouvera certainement l’écho de son art dans le cœur des gens.

 

 

 

 

 

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